DOCUMENT DE DISCUSSION

 

 

 

Le droit (traditionnel et coutumier) de la Nation Eeyou/Eenou au sujet de la famille et des questions connexes

 

 

Octobre 2012

 

 

 

 

             PRÉPARÉ ET PRÉSENTÉ PAR LA COMMISSION CRIE-NASKAPIE

 

 

Richard Saunders - Président

 

Robert Kanatewat - Commissaire

 

Philip Awashish - Commissaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION CRIE-NASKAPIE, 222 RUE QUEEN, PIÈCE 305

OTTAWA (ON)  K1P 5V9

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Droit (traditionnel et coutumier) de la Première nation Eeyou au sujet de la famille et des questions connexes

 

 

 

Introduction et contexte

 

  1. Gouvernance eeyoue

 

Les Cris d’Eeyou/Eenou existent comme peuple et nation avec leurs droits autochtones et issus des traités, les droits fondamentaux de la personne et les libertés fondamentales. (Dans le présent texte, les Eeyou/Eenou seront appelés Eeyous.)

 

Les réclamations souveraines des régimes coloniaux des compétences européennes ont été affirmées et dans une grande mesure établies en faisant preuve de mépris réel à l’égard du fait qu’Eeyou Istchee (territoire cri traditionnel et historique) était déjà occupé et utilisé par les peuples eeyous qui se gouvernaient eux-mêmes. 

 

Pour les Eeyous d’Eeyou Istchee, comme nation et peuple possédant leur propre patrie, il n’y a aucun principe plus fondamental dans l’histoire et les relations eeyoues que le droit d’un peuple de se gouverner lui-même et ses territoires conformément à ses lois, traditions, coutumes, pratiques, valeurs et aspirations. Les Eeyous d’Eeyou Istchee ont un droit inhérent de gouvernance eeyoue. Ce droit eeyou est inhérent en ce sens que ses origines ultimes sont dans les vies, les traditions et l’histoire collectives ainsi que le droit eeyou d’Eeyou Istchee plutôt que d'avoir été conférées par la Couronne ou le Parlement du Canada. Plus particulièrement, le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale eeyoue découle de l’occupation originale et actuelle d’Eeyou Istchee par les Eeyous. En conséquence, les Eeyous d’Eeyou Istchee jugent qu’ils sont un peuple autonome qui était, avant le contact avec les peuples européens, complètement indépendant et constitué en société organisée occupant et gouvernant leur patrie comme leurs aïeux l’avaient fait avant eux pendant des siècles. Même si cette autonomie gouvernementale a été grandement diminuée par les empiétements des autorités gouvernantes et régimes de l’extérieur, elle a réussi à survivre dans une forme atténuée.

 

Le droit de gouvernance eeyoue est inhérent dans la Nation eeyoue. En conséquence, c’est par l’entremise de la Nation que les Eeyous expriment leur autonomie personnelle et collective.

 

La gouvernance eeyoue a évolué des pratiques de longue date basées sur le droit eeyou, leurs traditions et leurs coutumes. Toutefois, la gouvernance eeyoue a évolué depuis la mise en oeuvre de la Convention de la Baie James et du Nord québécois (CBJNQ), et ses conventions complémentaires ainsi que de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec.

 

Conformément aux modalités et dispositions de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, le territoire d’Eeyou Istchee a été découpé en trois (3) catégories de terres. Des terres de catégorie IA, de compétence fédérale et de catégorie IB de catégorie provinciale ont été mises de côté et attribuées aux Cris pour leur usage exclusif et avantage et sous l’administration et le contrôle des administrations locales cries. Les terres de catégorie II, de juridiction provinciale sont des terres où les Cris ont le droit exclusif de chasser, pêcher et trapper et ont d’autres droits établis en vertu de l’article 24 de la CBJNQ. Les terres de catégorie III, de compétence provinciale sont des terres qui sont jugées être des terres publiques. Toutefois, les Cris ont des droits, garanties et privilèges prévus dans la CBJNQ.  

 

Conformément aux obligations fédérales envers les Eeyous (les Nations cries et naskapies) en vertu de la CBJNQ et de la Convention du Nord-Est québécois, une loi fédérale spéciale – la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec – promulguée par le Parlement et qui a reçu l’assentiment royal le 14 juin 1984 – prescrit un régime ordonné et efficace d’administration locale crie et naskapie et l’administration, la gestion et le contrôle des terres communautaires locales par les Premières nations cries et naskapies. La Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec remplace la Loi sur les Indiens pour la Nation crie d’Eeyou Istchee et la Nation naskapie de Kawawachikamach. Pendant les négociations menant à la signature de la CBJNQ, les Eeyouchs d’Eeyou Istchee ont rejeté le régime d’administration restreint, supervisé et imposé par la Loi sur les Indiens, sauf dans le but de déterminer lesquels des bénéficiaires cris et naskapis sont des « Indiens » au sens de la Loi sur les Indiens. En conséquence, la Loi sur les Indiens ne s’applique par aux Premières nations cries et naskapies et ne s’applique pas non plus sur leurs terres communautaires ni au sujet de leurs terres communautaires.

 

En outre, la Loi sur les Indiens ne prend pas en compte le droit traditionnel, les coutumes et les pratiques traditionnelles aux fins de gouvernance.

 

De plus, les conventions récentes entre les Eeyous d’Eeyou Istchee, le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec prévoient des négociations et l’établissement officiel de l’administration de la Nation crie.

 

La gouvernance eeyoue a évolué de façon dramatique au cours des trois dernières décennies surtout en réaction aux changements fondamentaux du paysage politique, social et économique d’Eeyou Istchee. Cette évolution de la gouvernance eeyoue est coutumière et naturelle étant donné que le pouvoir politique est universel et inhérent dans la nature humaine. Après tout, l’autodétermination eeyoue correspond au pouvoir de choisir les actions. Dans plusieurs situations, les Eeyous d’Eeyou Istchee ont adopté l’approche « faites-le ».

 

En conséquence, le sens et la pratique de la gouvernance eeyoue ont évolué et ont été redéfinis par les Eeyous en se basant sur les lois eeyoues, les droits, les libertés, les valeurs, la culture, les coutumes, les traditions, le droit autochtone et l’esprit et l’intention de la Convention de la Baie James et du Nord québécois et ses conventions complémentaires comme l’Entente concernant une nouvelle relation entre le gouvernement du Québec et les Cris du Québec et la  Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec.

 

La gouvernance eeyoue a définitivement évolué dramatiquement au cours des vingt-cinq dernières années au-delà de la Loi sur les Indiens, la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec et la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

 

La réconciliation des droits eeyous existants au préalable et inhérents et le droit eeyou avec la souveraineté de la Couronne a été, et continue d’être un défi majeur du point de vue politique, légal et constitutionnel et socio-économique.

 

Pour les Eeyous d’Eeyou Istchee, la reconnaissance mutuelle de la coexistence et des peuples et nations autoréglementée est une base et elle est fondamentale à la poursuite des relations des Eeyous et des partenariats avec le Canada et le Québec.

 

Nonobstant le régime légal de l’administration locale en vertu de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec et les autres pouvoirs et responsabilités des Eeyous en matière de gouvernance en vertu de la CBJNQ, de ses conventions complémentaires et de la législation subséquente, les Eeyous continuent d’incorporer le droit eeyou, les traditions et les coutumes dans l’exercice et la pratique de l’administration locale et de la gouvernance de la Nation Eeyou. (À l’exception des dispositions ayant trait à la Partie XIII - Successions, la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec ne se prononce pas sur l’existence et la continuité du droit eeyou, de ses coutumes et traditions.)

 

 

  1. L’Eeyou Weesou-wehwun, l’Eeyou Eedou-wun et l’Eeyou Kas-jeh-hou-wun (la loi eeyoue, les coutumes et traditions eeyoues et les droits des Eeyous)

 

 

Les Eeyous exercent et continueront d’exercer leur droit à l’autodétermination que l’on appelle « Weesou-way-tah-moo-wun » en Eeyou Ayimuwin (la langue des Eeyous d’Eeyou Istchee). Les mots « Eeyou weesou-way-tah-moo-wun » que l’on pourrait décrire comme « décision par les Eeyous » ou l’autodétermination des Eeyous correspondent au pouvoir du choix dans l’action.

 

L’exercice et la pratique de l’Eeyou Tapay-tah-jeh-souwin (la gouvernance eeyoue) a évolué à partir de l’exercice de l’Eeyou weesou-way-tah-moo-wun (l’autodétermination eeyoue).

 

Le peuple cri, comme on l’appelle dans la société contemporaine, possède le droit collectif et individuel de maintenir et de développer son identité et ses caractéristiques distinctes. Plus particulièrement, le peuple cri a le droit à l’auto-identification et il s’identifie, comme il le fait depuis des millénaires, comme Eeyou/Eeyouch et Eenouch/Eenou. De plus, les Eeyous possèdent le droit individuel et collectif à une nationalité et à être reconnus comme une nation distincte. Les Eeyous ont le droit d’appartenir à une collectivité eeyoue et à une nation eeyoue sur leur territoire traditionnel et historique. En conséquence, les Cris de la Baie James sont des Eeyous d’Eeyou Istchee. (Le mot « Cri »  vient des peuples français et anglais. Les Eeyous unilingues qui ne parlent que l’Eeyou Ayimuwin (la langue eeyoue) ne peuvent pas prononcer le mot « cri » puisque la lettre « r » n’existe pas en Eeyou Ayimuwin.)

 

Eeyou Istchee correspond à la totalité des collectivités et des territoires de chasse traditionnels et historiques des Eeyous. Eeyou Istchee est la terre que les Eeyous utilisent et occupent depuis des millénaires. En conséquence, Eeyou Istchee est essentiel et fondamental pour le « meeyou pimaat-tahseewin » ou le bien-être holistique des Eeyous. Le rôle essentiel d’Eeyou Istchee est la base de la gouvernance eeyoue, de la culture eeyoue, de l’identité, de l’histoire, de la spiritualité et du mode de vie traditionnel. Cette relation spéciale et unique entre les Eeyous et Eeyou Istchee fait partie de l’essence même d’« être Eeyou/Eenou ».

 

Les Eeyous d’Eeyou Istchee se réfèrent au droit eeyou à l’autonomie gouvernementale ou à tout droit eeyou comme l’« Eeyou Kas-jeh-hou-wun » qui veut dire le pouvoir ou la capacité eeyoue accordée par une autorité humaine, par le droit naturel ou par une source divine. Ce droit inhérent (à l’autonomie gouvernementale) est exercé par l’entremise des Eeyous qui sont l’autorité historique et traditionnelle de gouvernance. C’est par l’entremise de la nation et du peuple que les Eeyouchs expriment leur autonomie personnelle et collective. Cette pratique ou cet exercice de la gouvernance par l’entremise de la nation ou du peuple eeyou se décrit comme l’ « Eeyou Tapay-tah-jeh-souwin » par les Eeyous d’Eeyou Istchee.

 

 

L’« Eeyou Kas-jeh-hou-wun » en Eeyou Ayimuwin (la langue eeyoue) veut dire « capacité ou pouvoir eeyou ».   L’« Eeyou Kas-jeh-hou-wun » est le terme utilisé par le leadership eeyou/eenou pour décrire le principe fondamental des droits Eenou/Eeyou.

 

L’« Eeyou Eedou-wun » en Eeyou Ayimuwin (la langue eeyoue) veut dire « façon eeyoue/eenoue (de faire les choses) ». L’« Eeyou Eedou-wun » est le terme utilisé par les Eeyous pour décrire le concept des coutumes, traditions et pratiques.

 

L’« Eeyou Weesou-wehwun » en langue eeyoue veut dire « droit eeyou » (en lien direct avec les prises de décisions eeyoues). L’« Eeyou Weesou-wehwun » est le terme utilisé par le leadership eeyou/eenou afin d’exprimer le concept du droit inhérent eeyou dans la société eenoue/eeyoue. En conséquence et sous réserve des lois canadiennes et de la jurisprudence touchant le droit « coutumier/traditionnel » autochtone, l’Eeyou Weesou-wehwun est distinct du droit autochtone (le droit contemporain touchant les peuples autochtones). Il faut noter la similitude des mots eeyous « Eeyou Weesou-wehwun » (le droit eeyou) et « Eeyou Weesou-way-tah-moo-wun » (l’autodétermination eeyoue).

 

À titre d’exemple, les Eeyous ont, selon le droit eeyou, établi leur régime foncier pour l’Indoh-hoh Istchee (les territoires de chasse eeyous) avec l’autorité gouvernante de l’Indoh-hoh Ouje-Maaoo (le gouverneur ou pointeur de chasse). Ce régime foncier a été déterminé et établi par l’ « Eeyou Weesou-wehwun » (la législation eeyoue). En conséquence, la gouvernance, l’occupation et l’utilisation eeyoues actuelles et traditionnelles d’Eeyou Indoh-hoh Istchee (les territoires de chasse traditionnels eeyous) dépendent de l’existence et de l’application de la loi eeyoue qui est devenue une source des droits des Eeyous. (En reconnaissance du droit eeyou et des droits des Eeyous, l’article 24 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois confirme la continuité de la gouvernance, de l’utilisation et de l’occupation traditionnelles eeyoues de l’Indoh-hoh Istchee d’Eeyou Istchee.) De cette façon, la gouvernance, l’occupation et l’utilisation eeyoues actuelles et traditionnelles d’Eeyou Indoh-hoh Istchee témoignent de l’existence et de l’application continues du droit eeyou qui maintient et protège ce lien spécial et unique entre les Eeyous et leurs terres traditionnelles. Après tout, Eeyou Istchee est essentiel et fondamental pour le « meeyou pimaat-tahseewin » ou le bien-être holistique des Eeyous. Le rôle essentiel d’Eeyou Istchee est la base de la gouvernance, de la culture, de l’identité, de l’histoire, de la spiritualité et du mode de vie traditionnel des Eeyous. Cette relation spéciale et unique entre les Eeyous et Eeyou Istchee fait partie de l’essence même d’« être Eeyou/Eenou ».

 

Cependant, l’« Eeyou Weesou-wehwun » (la législation eeyoue) n’a pas le même sens que le droit commun contemporain. Dans certains cas, le droit eeyou est un outil d’apprentissage et d’enseignement et non seulement un ensemble de règles.

 

Dans l’exercice de l’Eeyou Tapay-tah-jeh-sou (le gouvernement eeyou) Kas-jeh-hou-wun (le droit) ou le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, les Eeyous d’Eeyou Istchee ont déterminé et continueront de déterminer l’Eeyou Weesou-wehwun ou le droit eeyou. Les Eeyous ont aussi déterminé et continueront de déterminer l’Eeyou Eedou-wun (la façon eeyoue de faire les choses) qui comprend la philosophie et la spiritualité eeyoues. De cette manière, les Eeyous continueront de façonner la culture eeyoue. 

 

Le droit eeyou constitue l’ensemble des lois inhérentes des Eeyous. C’est un ensemble de lois transmises de génération en génération. Le droit eeyou représente les valeurs communes de la société eeyoue. Chez les Eeyous, le droit eeyou, les coutumes et les traditions ne sont pas formés par des principes, des pratiques et des institutions statiques provenant d’un passé distant. Ils constituent un ensemble évolutif de modes de vie qui s’adapte aux situations changeantes et qui intègre facilement les nouvelles attitudes et les nouvelles pratiques. En conséquence, le droit eeyou n’est pas un ensemble statique de lois, il est plutôt un ensemble évolutif de principes et de normes de vie dans la société eeyoue.

 

Les Eeyous, comme d’autres peuples contemporains, doivent continuellement remodeler leurs institutions pour faire face à de nouvelles situations et de nouvelles demandes. En ce faisant, ils empruntent et adaptent librement les traits culturels qu’ils trouvent utiles et intéressants. À cet égard, le droit eeyou peut être perçu comme un processus continu qui tente de résoudre les problèmes d’une société en changement, plutôt qu’un ensemble de règles. Ce n’est pas la reproduction irréfléchie de pratiques démodées qui rend le droit eeyou efficace et crée une tradition vigoureuse, mais plutôt un lien profond avec le passé bien vivant, spécialement un lien profond et vibrant avec la terre – Eeyou Istchee.

 

On dit souvent que « les coutumes font les lois ». Chez les Eeyous, le droit eeyou peut émaner des coutumes eeyoues et des pratiques traditionnelles. Cependant, les traditions font appel aux valeurs et aux actions qui soutiennent les coutumes. En fait, les valeurs eeyoues constituent la base des principes éthiques qui sont le fondement du droit et des traditions eeyous. En conséquence, le droit et les traditions eeyous découlent des valeurs et principes eeyous.

 

De plus, la culture eeyoue peut se définir simplement comme le mode de vie adopté par les Eeyous. En fait, les Eeyous décrivent la culture eeyoue comme l’« Eeyou pimaat-seewun » (le mode de vie eeyou). Chez les Eeyous, la culture est déterminée par l’Eeyou Eedou-wun – la façon eeyoue de faire les choses – et comprend la totalité complexe des croyances, des valeurs, des principes, des pratiques, des institutions, des attitudes, des morales, des coutumes, des traditions et du savoir des Eeyous. Ces éléments influencent la détermination et le contenu du droit eeyou parce que les Eeyous connaissent les valeurs et les principes qui sont sous-jacents aux termes du droit eeyou.

 

En conséquence, le droit eeyou tire ses origines des valeurs et des principes politiques, économiques, spirituels et sociaux des Eeyous d’Eeyou Istchee. Ces principes et valeurs sont exprimés et énoncés par les enseignements des aînés eeyous, les coutumes, les traditions et pratiques des Eeyous.

 

L’évolution du droit eeyou avec ses coutumes, ses traditions et ses pratiques prescrites a permis l’engagement des Eeyous de diverses façons qui reconnaissent pleinement la valeur de l’individu et l’expérience personnelle comme étant centrales à la formulation de la philosophie et de la spiritualité eeyoue.

 

Cependant, le développement et l’évolution du droit eeyou sont jusqu’à présent demeurés dans le domaine des traditions orales.

 

Le droit de la Première nation eeyoue établit les principes fondamentaux de l’Eeyou pimaat-tahseewin (la vie eeyoue), de l’Eeyou Eehdou-wun (la façon eeyoue de faire les choses), et de l’Eeyou Tapay-tah-jeh-souwun (la gouvernance eeyoue). La détermination du droit de la Première nation eeyoue est aussi l’expression de la souveraineté interne des Eeyous et le résultat de l’Eeyou Weesou-way-tah-moo-wun (l’autodétermination des Eeyous). À ce titre, ceci ne reflète pas le résultat de négociations avec le Canada ou le Québec ni avec une nation autre que la Nation eeyoue.

 

Les traditions légales eeyoues sont fortes et dynamiques et sont transmises d’une génération à l’autre. La génération actuelle d’Eeyous doit maintenir et continuer de faire appliquer le droit eeyou en l’interprétant et en l’intégrant à sa vie et à ses expériences. Une tradition meurt si elle n’est pas transmise à la génération suivante et accueillie par celle-ci.

 

 

En résumé et en tenant compte du système juridique eeyou, il faut considérer les aspects importants de la société eeyoue et du droit contemporain :

 

  1. le droit eeyou à l’autodétermination ou l’Eeyou Weesou-way-tah-moo-wun;
  2. l’Eeyou Tapay-tah-jeh-sou (le gouvernement eeyou) Kas-jeh-hou-wun ou le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale;
  3. la souveraineté des Eeyous;
  4. l’Eeyou Weesou-wehwun ou le droit eeyou tel qu’il est déterminé et établi par l’entremise du processus décisionnel eeyou;
  5. l’état du droit eeyou;
  6. l’Eeyou Eedou-wun ou la façon eeyoue de faire les choses (c’est-à-dire, les coutumes et les pratiques);
  7. l’Eeyou Pimaat-seewun (le mode de vie ou la culture eeyoue);
  8. le rôle essentiel et fondamental d’Eeyou Istchee;
  9. la spiritualité eeyoue;
  10. le régime foncier eeyou ou le régime de l’Indoh-hoh Istchee;
  11. l’application des institutions traditionnelles;
  12. l’autonomie, les responsabilités et les pouvoirs de l’Indoh-hoh Ouje-Maaoo (les gouverneurs ou les pointeurs de chasse eeyous);
  13. les pouvoirs, les tâches et les responsabilités des Eeyou Ouje-Maaooch (les leaders et autorités Eenou/Eeyou);
  14. les pouvoirs, les tâches et les responsabilités des Eeyou Tapaytahchehsouch (les administrations locales eeyoues et l’administration (régionale) de la Nation);
  15. l’autonomie et la responsabilité individuelles;
  16. le respect de l’autorité;
  17. le rôle des femmes et des aînés;
  18. le rôle, l’importance, l’autonomie et les responsabilités de la famille et du clan;
  19. les leaders et le processus de leadership;
  20. la Convention de la Baie James et du Nord québécois et les autres ententes/traités, y compris les lois fédérales et provinciales habilitantes;
  21. le droit autochtone;  
  22. les procédures et le consensus eeyous dans le cadre du processus décisionnel;
  23. l’application des autres valeurs, droits et principes eeyous; et
  24. l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

 

En résumé, le droit eeyou est :

 

  1. conventionnel, coutumier et pas écrit;
  2. enchâssé dans les traditions orales et les observations communautaires;
  3. transmis d’une génération à l’autre;
  4. un ensemble de principes et de normes en évolution de la vie eeyoue; et
  5. concentré sur les valeurs et principes fondamentaux des Eeyous et qui démontre ensuite la valeur commune de la société eeyoue.

 

1.3 Reconnaissance et continuité du droit de la Première nation eeyoue

 

 

En 1982, les droits autochtones et issus des traités ont été enchâssés dans la Constitution écrite du Canada pour la première fois dans l’histoire du Canada. Plus particulièrement, l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 précise que : « Les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés ».

 

Dans son rapport de 1996, la Commission royale sur les peuples autochtones a conclu que : « le droit inhérent d’autonomie gouvernementale est un des droits autochtones existants et issus des traités », reconnu et confirmé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

Les droits autochtones ont évolué de l’occupation préalable des terres par les peuples autochtones et l’organisation sociale et les cultures distinctes préalables des peuples autochtones. Dans l’affaire Van der Peet1 le juge en chef de la Cour suprême du Canada a précisé ce qui suit :

 

À mon avis, la doctrine des droits ancestraux existe et elle est reconnue et confirmée par le par. 35(1), et ce pour un fait bien simple : quand les Européens sont arrivés en Amérique du Nord, les peuples autochtones s’y trouvaient déjà, ils vivaient en collectivités sur ce territoire et participaient à des cultures distinctives, comme ils l’avaient fait pendant des siècles.  C’est ce fait, par‑dessus tout, qui distingue les peuples autochtones de tous les autres groupes minoritaires du pays et qui commande leur statut juridique -- et maintenant constitutionnel – particulier.2 (accent ajouté)

 

Les droits ancestraux découlent non seulement de l’occupation antérieure du territoire, mais aussi de l’organisation sociale antérieure et des cultures distinctives des peuples autochtones habitant ce territoire.  Pour déterminer si le bien-fondé de la revendication d’un droit ancestral a été établi, les tribunaux doivent considérer et les rapports qu’entretient le demandeur autochtone avec le territoire et les coutumes, pratiques et traditions de la société à laquelle il appartient et de la culture distinctive de cette société.  Ils ne doivent pas se concentrer sur les rapports qu’entretiennent les peuples autochtones avec le territoire au point de négliger les autres facteurs pertinents pour l’identification et la définition des droits ancestraux.3 (accent ajouté)

 

Dans l’affaire Adams4, la Cour suprême a confirmé que pour être protégées, ces pratiques, coutumes et traditions n’avaient pas besoin de la reconnaissance officielle des Européens :

 

Le fait qu’une coutume, pratique ou tradition se soit poursuivie après l’arrivée des Européens, quoique en l’absence du lustre formel que lui aurait donné sa reconnaissance juridique par les colonisateurs européens, ne doit pas saper la protection accordée aux peuples autochtones.  Le noble objet visé par le par. 35(1), savoir la préservation des caractéristiques déterminantes qui font partie intégrante des sociétés autochtones distinctives, ne saurait être réalisé si cette disposition ne protégeait que les caractéristiques déterminantes dont le sort a bien voulu qu’elles soient reconnues légalement par les colonisateurs français et britanniques.5

 

La juge Madame McLachlin a écrit ce qui suit sur la reconnaissance par le common law des lois ancestrales et coutumes des peuples autochtones dans ses raisons dans le cadre de l’affaire Van der Peet.6

 

L’histoire des rapports entre les Européens et la common law, d’une part, et les peuples autochtones, d’autre part, s'étale sur une longue période.  Comme on peut s'y attendre, les principes régissant ces rapports n’ont pas toujours été appliqués uniformément durant cette longue histoire.  Et pourtant, cette histoire, depuis les tout débuts jusqu’à nos jours, est illuminée par un fil d’or – la reconnaissance par la common law des lois et coutumes ancestrales des peuples autochtones qui occupaient le territoire avant la colonisation européenne.7  (accent ajouté)

 

En outre, madame la juge L’Heureux-Dubé a parlé de la doctrine de la continuité dans le contexte d’une approche en vue d’interpréter la nature et l’étendue des droits autochtones. Elle a écrit ce qui suit :8

 

Au lieu d’être perçue comme le tournant pour la culture autochtone, la souveraineté britannique serait plutôt considérée comme ayant reconnu et confirmé les coutumes, pratiques et traditions qui sont suffisamment importantes et fondamentales pour l’organisation sociale et la culture des autochtones.  Cette idée se rattache à la [TRADUCTION] « doctrine de la continuité », fondée sur le droit constitutionnel impérial britannique et selon laquelle, en cas d’acquisition de nouveaux territoires, la lex loci des sociétés organisées, en l’occurrence les sociétés autochtones, continue de s’appliquer en vertu de la common law.9 (accent ajouté)

 

Il ne s’agissait donc pas seulement de la continuité des lois traditionnelles précises, mais plutôt de la compétence des gouvernements autochtones de formuler, de promulguer et d’appliquer les lois.10

 

Il est clair que la Cour suprême du Canada confirme et reconnaît l’existence et la continuité du droit traditionnel et des coutumes autochtones.

 

 

  1. Droit traditionnel eeyou de la famille

 

 

2.1 Le rôle de la famille dans la société eeyoue et le droit traditionnel de la famille

 

Dans la société eeyoue, la vie politique a toujours été étroitement liée à la famille, à la terre et a un sens important de spiritualité. Les Eeyous conservent un point de vue sur la vie qui souligne la nature intégrée des sphères spirituelles, familiales, économiques et politiques. Bien que certains Canadiens aient tendance à voir le gouvernement comme éloigné et divorcé des gens et de la vie de tous les jours, en général, les Eeyous voient le gouvernement d’une façon plus holistique, comme inséparable de l’ensemble des pratiques communautaires qui constituent le mode de vie ou comme les Eeyous l’appellent, Eeyou Pimaatisiiwin.

 

L’Eeyou Pimaatisiiwin (la vie des Cris) et la culture sont centrés et poursuivis par l’entremise de l’unité familiale (y compris l’unité familiale étendue) qui est l’ordre social de base et fondamental et qui fait partie intégrante du processus décisionnel et de la gouvernance. La famille est le noyau de la culture, société et économie eeyoues.

 

Traditionnellement, la famille (y compris l’unité familiale étendue) a toujours constitué l’unité fondamentale de gouvernance pour l’Indoh-hoh Istchee (les territoires de chasse) de la Nation et des peuples eeyous.

 

Le rôle et les responsabilités fondamentales de l’unité familiale et l’utilisation des territoires de chasse familiaux sont importants pour l’Iiyiyiu Miyupimaatisiiwin (le bien-être holistique).

 

Les familles eeyoues remplissaient un certain nombre de fonctions gouvernementales essentielles. Elles déterminaient qui faisait partie du groupe, s’occupaient des besoins et de la sécurité des membres, réglementaient les relations sociales internes et les activités économiques, s’occupaient des contrevenants, gouvernaient les territoires de chasse traditionnels et en conséquence, réglementaient l’utilisation des terres et des ressources. Elles conféraient aussi aux individus un sens d’identité et d’appartenance fondamental et les guidaient à cultiver leurs dons spéciaux et à s’occuper de leurs responsabilités.

 

Toutefois, les Eeyous d’Eeyou Istchee placent aussi une grande importance sur la collectivité des gens et des nations. Cet accent sur la collectivité eeyoue est un aspect important de la culture et de la gouvernance eeyoues. La collectivité eeyoue souligne :

 

  1. l’importance de la personne, de la famille, du clan de chasse, de la collectivité et de la nation;
  2. l’importance d’être solidaires du sentiment de la santé, du bien-être et de la valeur personnelle de l’individu comme partie intégrante de la collectivité;
  3. le concept de la responsabilité individuelle en regard de la collectivité;
  4. la responsabilité collective de s’occuper et de protéger ses membres les plus vulnérables;
  5. l’importance des droits et responsabilités collectifs; et
  6. l’importance de l’action collective.

 

En conséquence, le rôle et l’importance de la famille et l’accent de la collectivité des peuples et de la Nation eeyoue jouent un rôle fondamental dans la détermination et la mise en œuvre de l’Eeyou Eehdou-wun (la façon eeyoue de faire les choses) en ce qui a trait au droit traditionnel eeyou de la famille.

 

Un Eeyou devient un Chishaayiyiu (un aîné) par l’entremise du processus de Wiyaayimaakiniu qui inclut la reconnaissance par les Eeyous à titre de gardien et d'enseignant des connaissances.

 

Étant donné que les Eeyou Chishaayihnouch (les aînés) sont témoins de l’Eeyou Pimaatisiiwin (la vie), les connaissances, l’expérience et la sagesse de ces aînés guident les Eeyous à déterminer, exercer et vivre la vie eeyoue et pratiquer le droit eeyou. Dans ce domaine, les Eeyou Chishaayihnouch (les aînés) sont reconnus comme étant les principaux entrepôts et transmetteurs de l’Eeyou Iyihtiwin (la façon eeyoue de faire les choses) et des Chischaayihtimuwin (les connaissances).

 

En vertu du droit traditionnel eeyou, l’unité familiale de base prend des décisions sur des sujets familiaux qui sont en général, couverts par le droit traditionnel du Canada. La famille peut consulter les Eeyou Chishaayihnouch (les aînés) et/ou peuvent confier certains dossiers au chef et au conseil de la collectivité. Toutefois, le chef et le conseil se fient sur la famille et sur ses structures internes pour prendre les décisions concernant la famille. Dans ces situations, l’autonomie des unités familiales est un principe fondamental. Dans certains cas, la légitimité est obtenue par l’entremise de la reconnaissance et de l’acceptation de la décision prise par la famille par les Eeyous de la collectivité et/ou le chef et conseil.

 

Par exemple, la collectivité peut accepter qu’une maison qui appartient à la bande a été transférée à un conjoint survivant si l’unité familiale a décidé que ce devait être le cas. Le chef et le conseil rendront alors officiel le transfert de l’usage et de l’occupation de la maison de la bande au conjoint survivant.

 

 

2.2 Situation actuelle du droit de la famille

 

Au cours des cinq dernières décennies à Eeyou Istchee, les familles eeyoues, les principes au sujet des familles et les situations légales, sociales et économiques des familles ont changé et souvent de façon assez dramatique comme ci-après :

 

  1. Dans le passé, les mariages eeyous étaient arrangés par les parents de l’épouse et de l’époux sur une base sociale et économique. Maintenant, les couples d’Eeyou Istchee se marient en exerçant leur liberté individuelle de choix et de consentement.

 

  1. Dans le passé, un homme eeyou mariait rarement une femme eeyoue d’une collectivité différente. En conséquence, les mariages de couples entre différents groupes ethniques étaient rares. À l’heure actuelle, les mariages entre groupes ethniques différents et les mariages entre une personne eeyoue et une personne non-eeyoue sont courants.

 

  1. Avant la venue d’actions accessibles pour la séparation, la nullité de mariage et le divorce, on s’attendait à ce que les couples mariés restent mariés pour la vie étant donné que les séparations et les divorces n’étaient pas acceptés sur le plan social et qu’en conséquence, ils étaient rares.

 

  1. Les collectivités eeyoues ont évolué de villages de tentes à des collectivités urbaines qui possèdent des logements et des infrastructures locales. En conséquence, à l’heure actuelle, les familles eeyoues sont propriétaires de plus de biens comme des maisons privées. (À l’heure actuelle, les Eeyous possèdent beaucoup plus de biens traditionnels.)

 

  1. Pour les Eeyous d’Eeyou Istchee et la Nation naskapie du Québec, la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec ayant surtout trait aux administrations locales eeyoues et naskapies et au régime terrien gouvernant les terres de catégorie IA et IA-N a été promulguée et est entrée en vigueur.

 

Au Canada, le droit de la famille représente l’ensemble des lois canadiennes qui ont trait aux relations familiales, au mariage et au divorce.

 

Au Canada, le droit de la famille est surtout basé sur des lois. La compétence exclusive du gouvernement fédéral s’occupe du mariage et du divorce en vertu de l’article 91(26) de la Loi constitutionnelle de 1867 et est légiférée en vertu de la Loi sur le divorce. Les provinces ont la compétence exclusive de la célébration du mariage en vertu de l’article 92(12) de la Loi constitutionnelle de 1867 et la compétence des pensions alimentaires pour conjoints et enfants, la division des biens, la garde des enfants et les droits de visite, l’adoption et la protection des enfants comme partie intégrante de la compétence du gouvernement provincial sur les biens et les droits civils en vertu de l’article 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867 et la compétence sur des questions de nature privée en vertu de l’article 92(16) de la Loi. Chaque province a une loi qui traite des règles de la division des biens.

Dans la province de Québec, le Code civil est une loi globale qui contient toutes les dispositions fondamentales qui gouvernent la vie en société, notamment les relations entre les citoyens et les relations entre les gens et les biens. Le Code gouverne tous les droits civils comme la location d’articles ou de biens, les contrats de vente, etc. Il traite aussi du droit de la famille comme dans le cas des régimes matrimoniaux.

Si une personne est autochtone, les questions juridiques concernant les biens, la pension alimentaire pour enfant, la garde et la tutelle et les droits de visite sont considérés spécifiquement par le tribunal de la famille. Par exemple, lorsque le tribunal étudie « les meilleurs intérêts de l’enfant », il peut tenir compte du patrimoine, des traditions et de la culture de l’enfant pour prendre des décisions au sujet de la garde, de la tutelle et de l’accès. (Ce patrimoine peut être autochtone ou d’une autre culture dans les cas où la cour étudie la garde et la tutelle. Le tribunal évalue les pratiques culturelles précises ou les contacts que chaque parent peut fournir à l’enfant plutôt que la culture elle-même.) En ce qui a trait aux biens, les terres dans les réserves ou la maison du couple marié dans la réserve sont traitées différemment parce qu’elles font partie de la Loi sur les Indiens et non des lois provinciales.

 

Toutefois, sauf pour déterminer lesquels des bénéficiaires cris et naskapis sont « Indiens » au sens de la Loi sur les Indiens, la Loi sur les Indiens ne s’applique pas aux bandes cries ni aux bandes naskapies et ne s’applique pas non plus aux terres de catégorie IA et IA-N. En conséquence, pour les Cris de la Baie James et les Naskapis de Kawawachikamach, la Loi sur les Indiens et la loi provinciale qui s’occupe en général de la division des « biens familiaux »  lorsqu’un couple se sépare ou qu’un époux décède, ne s’applique pas aux biens d’un bénéficiaire cri ou d’un bénéficiaire naskapi situé dans une terre de catégorie IA ou IA-N. Par contre, certaines dispositions de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec s’appliquent à la succession d’un bénéficiaire cri ou naskapi pour la liquidation de sa succession y compris les biens meubles après son décès.

 

La Partie XIII (Successions) de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec s’applique à la succession d’un bénéficiaire cri ou naskapi qui décède après l’entrée en vigueur de cette partie de la Loi. L’esprit et l’intention de la Partie XIII (Successions) de la Loi étaient de reconnaître et d’appliquer le droit traditionnel cri pour la distribution des biens traditionnels lorsqu’il n’y a pas de testament valide.

 

Les articles 181 et 182 de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec précisent ce qui suit :

« 181. (1) En cas de décès ab intestat d’un bénéficiaire cri ou naskapi qui laisse des biens traditionnels, le conseil de famille du défunt se réunit dans l’année suivant le décès pour décider de la disposition de ces biens.

 (2) Le conseil de famille peut décider de la disposition des biens traditionnels du défunt et charger une personne consentante de donner suite à sa décision.

182. (1) Le conseil de famille se compose :

a) du conjoint;

b) des enfants majeurs et des représentants légaux des enfants mineurs;

c) des père et mère.

(2) Faute de survivants parmi les personnes mentionnées au paragraphe (1), le conseil de famille du défunt se compose de trois de ses parents majeurs considérés comme les plus proches selon les lois de la province et résidant habituellement dans le “territoire” au sens donné à ce mot à l’article 2 de la Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie James et du Nord québécois. »

 

La Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec reconnaît donc clairement et accepte certains aspects du droit traditionnel eeyou. Elle reconnaît aussi l’importance de la famille comme unité sociale dans le cadre du processus décisionnel et dans l’application du droit traditionnel eeyou. 

 

Toutefois, l’article 174 de la Loi définit « biens traditionnels » comme ci-après :

« Définitions

174. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

‘biens traditionnels’ selon le cas :

a) tous biens meubles, argent excepté, normalement utilisés dans l’exercice du droit d’exploitation visé par la Loi sur les droits de chasse et de pêche dans les territoires de la Baie James et du Nouveau Québec (Québec), y compris les véhicules, les embarcations, les moteurs, les armes à feu, les pièges et le matériel de camping, mais à l’exclusion des biens meubles utilisés dans la pêche commerciale;

b) produits ou sous-produits animaux obtenus à la suite de l’exercice du droit d’exploitation visé à l’alinéa a). »

 

De plus, un bénéficiaire cri ou un bénéficiaire naskapi peut préparer un testament valide qui prévoit la liquidation de sa succession, y compris les biens meubles après son décès. L’article 176 de la Loi décrit les formes valides de testament comme ci-après :

 

« 176. (1) Constitue un testament valide :

a) l’acte établi conformément aux lois de la province;

b) l’acte admis comme tel par le ministre conformément au paragraphe (2).

 (2) Le ministre peut admettre comme testament tout écrit signé par un bénéficiaire cri ou naskapi ou portant sa marque et dans lequel celui-ci indique ses intentions quant à la disposition de ses biens à son décès. »

 De plus, l’article 177 précise ce qui suit :

« 177. Par dérogation à l’article 599a du Code civil du Bas-Canada, doivent être en la forme réglementaire sans être obligatoirement authentiques les actes relatifs à l’acceptation ou au règlement d’une succession, ou à la renonciation à une succession :

a) composée en tout ou en partie de meubles, d’immeubles ou de biens traditionnels situés sur des terres de catégorie IA ou IA-N;

b) intéressant des personnes frappées d’une incapacité légale. »

 

Le droit commun du mariage et de la famille est compliqué par son historique à titre d’institution sociale et religieuse qui a plus tard été réglementée par la loi. Toutefois, les lois fédérales et provinciales actuelles ne traitent pas adéquatement et spécifiquement du droit de la famille et des questions connexes comme les questions de biens immobiliers matrimoniaux en ce qui a trait aux terres de catégorie IA et IA-N. Plus particulièrement, la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec n’aborde pas précisément les questions de biens immobiliers matrimoniaux en ce qui a trait aux terres de catégorie IA et IA-N.

 

Le droit eeyou de la famille de l’Eeyou Iyihtiwin (la façon eeyoue de faire les choses) place un grand accent sur l’importance et le bien-être de l’individu et de la famille. Toutefois, à l’heure actuelle, le droit eeyou de la famille ne traite pas des questions qui ont trait aux biens immobiliers matrimoniaux en ce qui a trait aux terres de catégorie IA et IA-N.

 

Dans ce contexte, le droit commun de la famille et le droit eeyou de la famille de l’Eeyou Iyihtiwin (la façon eeyoue de faire les choses) font face à des défis considérables pour réussir à « garder la cadence » avec les changements qui ont trait aux principes, questions et situations actuelles touchant la famille.

 

 

 

3. Projet de loi S-2 Loi concernant les foyers familiaux situés dans les réserves et les droits ou intérêts matrimoniaux

 

 

3.1 Introduction

 

À l’heure actuelle,  le projet de loi « Loi concernant les foyers familiaux situés dans les réserves et les droits ou intérêts matrimoniaux » est à l’étude au Parlement. Ce projet de loi vise à fournir aux Premières nations le pouvoir législatif de promulguer des lois concernant les biens immobiliers matrimoniaux. La loi établira aussi les règles pour les droits des conjoints et de la famille en regard des biens immobiliers matrimoniaux qui seront en vigueur jusqu’à ce qu’une Première nation promulgue ses propres lois à ce sujet.

 

La Commission Crie-Naskapie est d’avis que si cette loi est adoptée, elle ne s’appliquera pas aux terres de catégorie 1A et 1A-N des Nations cries et naskapies. La Commission pense aussi que la discussion actuelle sur les biens immobiliers matrimoniaux est un moment idéal pour les Nations cries et naskapies de se pencher sur le sujet. Cette question et les préoccupations connexes ont aussi fait l’objet de réclamations occasionnelles auprès de la Commission. 

 

3.2 Contexte

 

En général, pour les Canadiens, les compétences conférées par l’article 92 (13) de la Loi constitutionnelle de 1867 aux provinces, confirment que le partage des biens après la rupture d’un mariage ou d’une relation semblable ainsi que la plupart des questions connexes sont réglementés par les lois provinciales.

 

Toutefois, les compétences provinciales dans ce domaine ne s’appliquent pas aux terres des réserves de catégorie  IA et IA-N parce que l’article 91 (24) de la Loi constitutionnelle de 1867 attribue la compétence exclusive sur les « Indiens et terres réservées pour les Indiens » au Parlement. L’exercice de ce pouvoir fédéral conféré par la Loi sur les Indiens exclut aussi en fait les lois provinciales à ce sujet. La Cour suprême du Canada a abordé cet aspect de la Loi dans l’affaire Derrickson c. Derrickson en 1986.

 

Le fait que ni la Loi sur les Indiens ni une autre loi fédérale ne traite des biens immobiliers matrimoniaux sur les réserves ou sur les terres de catégorie 1A et 1A-N en plus de l’absence de compétences des provinces créent une lacune dans la loi et que, dans plusieurs cas, cette situation a entraîné des résultats injustes ou inéquitables pour les conjoints individuels et/ou leurs personnes à charge après la rupture d’un mariage ou d’une relation d’union de fait.

 

L’Association des femmes autochtones du Canada et une variété d’autres groupes d’intervenants ont fait beaucoup de lobbying pour remédier à la situation. Certaines consultations ont eu lieu avec l’Assemblée des Premières Nations. Au fil des ans, différents comités ont étudié la lacune et une variété de propositions législatives ont été présentées. Aucune n’a réussi. Le projet de loi actuel vise à fournir une solution.

 

3.3 Situation actuelle du projet de loi

 

Le gouvernement actuel a déposé le projet de loi en première lecture sous le nom de projet de loi S-2 le 28 septembre 2011. Après l’étude d’un comité sénatorial, le projet de loi a été adopté en première lecture par le Sénat et la Chambre des communes le 8 décembre 2011. Si aucune difficulté imprévue ne survient, on peut s’attendre à ce que le projet de loi soit adopté comme loi au cours de la présente législature.

 

 

3.4 But affirmé du projet de loi S-2

 

Le préambule de la loi proposée inclut ce qui suit :

 

« Attendu que le Parlement du Canada souhaite promouvoir l’exercice, compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982, du pouvoir des premières nations de prendre des textes législatifs en ce qui a trait aux foyers familiaux situés dans les réserves et aux droits ou intérêts matrimoniaux portant sur les constructions et terres situées dans ces réserves. »

 

Plus loin, l’article 4 du projet de loi S-2 précise ce qui suit :

 

« 4. La présente loi a pour objet l’adoption par les premières nations de textes législatifs — et l’établissement de règles provisoires de procédure ou autres — applicables, pendant la relation conjugale ou en cas d’échec de celle-ci ou de décès de l’un des époux ou conjoints de fait, en matière d’utilisation, d’occupation et de possession des foyers familiaux situés dans les réserves des premières nations et de partage de la valeur des droits ou intérêts que les époux ou conjoints de fait détiennent sur les constructions et terres situées dans ces réserves. »

 

3.5 La non-applicabilité du projet de loi S-2 aux terres de catégorie 1A ou 1A-N

 

Différents articles de la loi proposée et de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec confirment que la nouvelle loi ne sera pas applicable aux bandes cries et naskapies. Par exemple, la définition de « première nation » dans la nouvelle loi proposée précise ce qui suit :

 

« ‘première nation’ – bande au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens ».

 

De plus, le projet de loi stipule aussi précisément qu’il s’applique à Kanesatake qui possède sa propre législation sur l’autonomie gouvernementale. Dans la mesure où les Cris et Naskapis possèdent aussi leur propre législation sur l’autonomie gouvernementale, il sera probablement nécessaire que ces derniers soient explicitement inclus de façon à faire partie de la couverture du projet de loi. En résumé, il semble que le projet de loi S-2 ne s’appliquera pas aux Cris et Naskapis qui sont couverts par la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec.

 

3.6 Le pouvoir actuel des Nations cries et naskapies de s’occuper des biens immobiliers matrimoniaux

 

La Commission Crie-Naskapie croit que les gouvernements cris et naskapis ont déjà les outils législatifs nécessaires pour adopter des lois en ce qui a trait aux biens immobiliers matrimoniaux dans les terres de catégorie 1A et 1A-N. Des avis juridiques précis devront être obtenus avant la préparation des règlements administratifs. Nous pensons toutefois que les différentes dispositions actuelles de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec reconnaissent plus qu’adéquatement les pouvoirs des Cris et des Naskapis dans ce domaine.

 

Tout d’abord, l’article qui confirme la suprématie de la Loi devrait être suffisant pour confirmer que l’exercice valide des pouvoirs des Nations cries ou naskapies dans ce domaine ne serait pas affecté par une loi incompatible. L’article de la LCNQ est le suivant :

 

« 3. (1)  Sous réserve du paragraphe (2), les dispositions de la présente loi l’emportent sur les dispositions incompatibles de toute autre loi fédérale. »

 

Selon la Commission, il semble que les articles suivants de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec entre autres, fournissent la base pour permettre aux autorités cries et naskapies d’adopter des règlements administratifs relatifs aux biens immobiliers matrimoniaux pour les terres de catégorie 1A et 1A-N.

 

« 21. La bande a pour mission …b) d’assurer l’usage, la gestion, l’administration et la réglementation relatives à ses terres (de catégorie IA ou IA-N en anglais) ainsi qu’aux ressources naturelles qui s’y trouvent; cde régir les octrois de droits et d’intérêts sur ces terres (de catégorie IA ou IA-N en anglais) et sur leurs ressources naturelles, y compris les ressources de leur sous-sol; d) de réglementer l’usage des bâtiments qui se trouvent sur ces terres (de catégorie IA o IA-N en anglais); » (accent ajouté)

 

D’autres articles intéressants sont :

 

« Nul ne peut pénétrer, résider ou demeurer sur une terre de catégorie IA ou IA-N si ce n’est en conformité avec un droit de résidence et d’accès prévu à la présente partie. »

 

et plus particulièrement,

« 109. (2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, la bande a l’usage et le bénéfice exclusifs des terres de catégorie IA ou IA-N qui lui sont attribuées et des ressources naturelles qui s’y trouvent; à ce titre, elle dispose sur ces terres et ressources des droits d’administration, de régie, de contrôle, d’usage et de jouissance d’un propriétaire et peut les exercer à toutes fins utiles, notamment communautaires, commerciales, industrielles ou résidentielles. » (accent ajouté)

 

Comme nous l’avons mentionné précédemment, des avis juridiques précis devront être obtenus avant de faire entrer en vigueur des lois concernant les droits et intérêts en matière de biens immobiliers matrimoniaux. Nous croyons toutefois que les administrations cries et naskapies ont cette compétence en vertu de la Loi actuelle. 

 

En nous basant sur notre expérience des dossiers soulevés auprès de la Commission, nous croyons aussi que les administrations cries et naskapies devraient considérer proactivement d’exercer leurs pouvoirs dans ce domaine avant, plutôt qu’après que les tribunaux et d’autres tiers soient obligés de régler ce genre de problème qui porte sur les biens immobiliers matrimoniaux qui leur seront adressés.  

 

Le développement de règlements administratifs propres aux Cris et propres aux Naskapis s’avérerait aussi une occasion excellente pour évaluer la mesure dans laquelle le droit traditionnel et coutumier ainsi que les valeurs et préférences contemporaines de la collectivité peuvent être tissés dans les lois actuelles acceptables pour la collectivité.

 

 

3.7 Conclusion

 

 

L’étude par le Parlement du projet de loi, la Loi concernant les foyers familiaux situés dans les réserves et les droits ou intérêts matrimoniaux est le moment idéal pour les Nations cries et naskapies de déterminer la façon qu’elles veulent utiliser pour aborder les questions portant sur les biens immobiliers matrimoniaux. Comme le démontre l’expérience de la Commission, c’est une question active. La Commission croit que le projet de loi donne la possibilité d’aborder une préoccupation importante ainsi que la chance d’exercer les pouvoirs de gouvernance cris et naskapis de façon à faire reconnaître le droit et les coutumes des Cris et Naskapis avec un pouvoir reconnu par la législation. Cela permettrait aussi d’aborder une question importante pour les familles et les individus des Nations cries et naskapies plutôt que de laisser le sujet être abordé par le Parlement.

 

 

 

 

 

 

RÉFÉRENCES

 

 

  1. R.c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507.
  2. R.c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507.
  3. R.c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507 au point 74; R. c. Adams, [1996] 3 S.C.R. 101 au point.29.
  4. R. c. Adams, [1996] 3 R.C.S. 101.
  5. R. c. Adams, [1996] 3 R.C.S. 101 au point 33.
  6. R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507.
  7. R.c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507 au point 263. [accent ajouté]
  8. Peter W. Hutchins et Kalmakoff,  « The Golden Thread of Continuity, the Federalism Principle and Treaty Federalism – Where’s the Gap? » Document d’allocution pour la Conférence sur le droit autochtone au Canada 2005 : le paradigme en évolution, p. 13, 14.
  9. R. v. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507 au point 173. [accent ajouté à l’original]
  10. Peter W. Hutchins et Kalmakoff,  « The Golden Thread of Continuity, the Federalism Principle and Treaty Federalism – Where’s the Gap? » Document d’allocution pour la Conférence sur le droit autochtone au Canada 2005 : le paradigme en évolution,  p.14
  11. Site Web de l’Assemblée des Premières Nations, (voir « matrimonial property », en anglais).
  1. Canadian Native Law Reporter, [1986], 2, p. 45 Derrickson c. Derrickson.
  2. Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec.
  3. Loi sur les foyers familiaux situés dans les réserves et les droits ou intérêts matrimoniaux, (Projet de loi S-2).
  4. Site Web du gouvernement du Canada, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, « Biens matrimoniaux » et liens.
  5. Site Web de l’Association des femmes autochtones du Canada, [voir « matrimonial property » en anglais].